Nomadisme
- Francesca Cinelli Murray
- 5 oct. 2021
- 5 min de lecture
(Version française en bas de page)
Nomadism
It’s been almost a year since we’ve been on tour! Needless to say, a life of constant movement where every place is a stop-over, even the house that, each time, we merely pass through. Hardly enough time to pick up my pen and sawing needle before we’re already

closing our suitcases to leave on the next leg of our trip! The relationship to time and space changes, particularly when the movement stops: the adrenaline ebbs, like a sudden platitude, in David as it does in me. I’m not on stage, of course, but I’m there every step of the way, muse, spouse and partner, woman, writer, and stylist who vibrates to the rhythm of this long journey, which seems resemble nothing less than a radical change of life. This past rather sedentary decade was focused on attaining my doctorate, creating my line of ties, and absorbing the culture of New York City. Settled on the top floor of the house where I’d rented a room, I tasted sovereign solitude, punctuated by the whistling of the train in the distance, the tinkling of the ice cream truck in summertime, and the music of my record player… A certain idea of the American dream!
My affinity for writing came through the dissertations, articles, and thesis that built my journey through the university. Writing is both challenging and soothing, and above all an exercise in aesthetics for me wherein I reveal the flavours of my life, encounters, places and thoughts. I know of nothing more thrilling than the pursuit of beauty, in everything, absolutely everything, because it invites rigour and the transgression of codes, provided we’re made of the right stuff and we are up to the task.
If I were to make an analogy, writing is being naked, publicly naked. This means accepting the vulnerability of nakedness without fearing the wolf will brush up against you. Like the little girl with long curly hair, all blond and goldened by the sun, stretched out asleep on the lap of her bare chested father, in jeans, sitting in the sunset light of a seaside: a friend’s large-format family photo, unforgettable because it so overwhelmed me with its portrayal of love, trust and fearlessness. She sleeps, nude, fragile and confident: the world is her oyster.
It took me quite some time to find the quietude required for writing, firstly for family reasons. The death of my father, which happened just a few days after our departure, swept away any inclination to write. One telephone call, like muted blow. And I don’t know how to write through suffering and rage. That’s not my thing.
Dealing with administrative and notarial constraints, and memories… Getting into the thick of it. Mourning this man whom I hadn’t seen in years, moving into the familiar decor of my parents’ house, where every room, every piece of furniture, every object, every sound and every aspect of light reminded me of childhood and absence. I see them, my father, my mother, my brother, and my sister, as if the walls were recounting a memory that would

soon escape me, like sand between my fingers, once the house would be sold.
When the time came to close the door behind me, I hadn’t yet cried all the tears I had to spill, but my inner space had been freed up enough for me to finally put pen to paper, in Italy, in my mother’s land of Ciocciaria. The chronicle was definitely the format of choice, the most adapted, flexible, short, hybrid all wheel drive. It is also the most obvious way for me to participate in this adventure while still maintaining my treasured independence. In other words, the best of both worlds: I can invite David into my world just as he invites me into his. It is so easy to lose oneself in the other, particularly when the other is one of such stature.
Arce, October 4, 2021
photos: 1- documenting the tour, San Vito Al Tagliamento (©Ludmilla Faccenda) 2- Arce, Ciocciaria
Un an bientôt que nous sommes en tournée! Autant dire une vie de mouvement constant où partout est une halte, même la maison où nous ne faisons, à chaque fois, que

passer. À peine le temps de reprendre la plume et l’aiguille que déjà nous bouclons les valises pour la prochaine étape! Le rapport au temps et à l’espace devient différent,
particulièrement quand le mouvement
s’arrête : l’adrénaline redescend, comme une platitude soudaine, pour David comme pour moi. Je ne suis pas sur scène, bien sûr, mais je suis là à chaque étape, muse, épouse et partenaire, femme, écrivain et styliste qui vibre au diapason de ce long voyage qui ressemble à s’y méprendre à un changement de vie radical.
Ces dix dernières années, plutôt sédentaires, étaient centrées sur mon doctorat, la création de mes cravates et l’apprentissage de la culture newyorkaise. Installée au dernier étage de la maison où je louais une chambre, je goûtais une solitude souveraine, ponctuée par le sifflet du train au loin, la ritournelle du marchand de glaces ambulant à la belle saison et la musique de mon pick-up… Une certaine idée du rêve américain!
Le goût de l’écriture m’est venu au fil des dissertations, des articles et de la thèse qui ont jalonnés mon parcours universitaire. Épreuve et douceur à la fois, l’écriture est un exercice avant tout esthétique pour moi où je raconte les saveurs que ma vie rassemble, rencontres, lieux et réflexions. Je ne connais rien de plus excitant que la poursuite du beau, en tout, absolument tout, parce qu’elle invite l’exigence et la transgression des codes, pour peu qu’on en ait l’étoffe et que l’on s’en donne les moyens.
Si je devais faire une analogie, écrire, c’est être nue, publiquement nue. C’est accepter la vulnérabilité de la nudité sans même que la peur du loup n’effleure. Comme la petite fille aux cheveux longs bouclés, toute blonde et dorée de soleil, endormie de tout son long sur les genoux de son père torse nu, en jean, assis dans la lumière du coucher de soleil d’un bord de mer : photo de famille grand format d’un ami, inoubliable tant elle m’a bouleversée d’amour, de confiance et d'audace. Elle dort, nue, fragile et confiante : le monde lui appartient.
Il m’a fallu du temps pour trouver la quiétude que requiert l’écriture, tout d’abord pour des raisons familiales. La disparition de mon père, survenue quelques jours après notre départ, est venue balayer toute velléité scripturaire. D’un coup de fil, comme un coup
de poing sourd. Et je ne sais pas écrire dans la souffrance et la colère, ce n'est pas mon truc.
Faire face aux contraintes administratives, notariales, aux souvenirs… Mettre les mains dans le cambouis. Faire le deuil de cet homme que je ne voyais plus depuis des années, s’installer dans le décor si familier de la maison de mes parents où chaque pièce, chaque meuble, chaque objet, chaque son et chaque lumière me rappellent l’enfance et l’absence. Je les vois, mon père, ma mère, mon frère et ma sœur, comme si les murs me racontaient la

mémoire qui m’échapperait bientôt, comme le sable entre les doigts, lorsque la maison serait vendue.
Quand le temps de fermer la porte derrière moi est venu, je n’avais pas pleuré toutes les larmes de mon corps, mais mon espace intérieur s’était suffisamment libéré pour enfin prendre la plume, en Italie, au pays ciocciaro de ma mère. La chronique s’est définitivement imposée comme le format le plus adapté, souple, court, tout terrain. C’est aussi la façon la plus évidente que j’ai trouvée de participer à cette aventure tout en gardant mon indépendance chérie. En d’autres mots, le meilleur des deux mondes : je peux inviter David dans mon univers comme lui m’invite dans le sien. Il est si facile de se perdre dans l’autre, d’autant plus quand il est de cette carrure.
Arce, lundi 4 octobre 2021
photos: 1- documenter la tournée, ici à San Vito Al Tagliamento (©Ludmilla Faccenda)
2- Arce, Ciocciaria
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